Une femme de dos à moi se noie dans son ombre. C’est la vie qui bouge autour d’elle, mais elle, elle ne voit rien, sinon sa vie qui se perd dans des pensées infernales. Ses yeux fixent un point quelque part fondu dans ses orages, et sa bouche, d’une noirceur affolante, n’ose encore les mots qui la délivreront. Son nez tendre prolonge son front raviné par tous ses désirs. Elle se tient droite alors que les murs tombent, ou le contraire. On n’en sait rien, mais une chose est sûre, elle est présente, et peut-être plus que jamais elle n’a pu l’être.
Je ne vois que son dos, son dos nu, subtilement accordé comme un violoncelle, et je ne peux que deviner les cordes lisses, de l’autre côté d’un miroir à l’instant opaque. Sa chambre est son antre : quelle chance ai-je de m’y trouver ? Je ne dis mot, je ne parle phrase, je me silence.
J’espère.
La lumière est prenante : la voilà définitivement calme et offerte à une peau pâlissante et tendre comme un Regalad. Le noir, le blanc et les mille teintes de gris environnent son corps passible. Ai-je déjà dit que j’avais de la chance ?
Elle attend, sa tête de trois quarts, vers moi peut-être ?
Elle est sereine. Rien ne l’oblige à changer son attitude. Elle est libre de vaguer ainsi vers des horizons qui lui sont propres. La Clepsydre a suspendu pour elle ses gouttes océanes et ne se verse plus vers l’avenir qu’on lui a dicté. Pourquoi se presser, pourquoi se désimpatienter ? La seconde qui passe est éternelle et éphémère, c’est bien connu !
Elle attend.
Elle ne cache même pas ses appas d’un simple fichu. Elle se gauche de ce qu’elle paraît : elle ne veut qu’être ! Il est grand temps pour elle d’éviter les insidieux et les hébétés, tous ceux aux pensées interlopes et qui clabaudent : ils ne doivent plus l’importuner, elle l’a décidé. Elle va renaître.
Elle n’attend plus.
Alors, elle prend sa respiration comme pour mieux grandir et gonfle ses probables seins généreux pour insuffler sa nouvelle vie au monde qui ne l’attend pas. Elle fleure la réalité vivante comme une forcenée qui s’évade. Elle pantelle, de peur — sûrement — de gagner. Qui ne serait pas ainsi, à sa place ? Elle va tourner son corps d’un instant à l’autre, d’une minute à l’autre, d’une vie à l’autre, vers la droite sans une once d’hésitation, avec une véhémence guidée par l’unique ordre de sa vie.
Elle hausse la tête et se prépare à pirouetter vers moi de tout son corps, fière et encore timide
Et j’aurai alors pour la première fois, face à mes yeux, ses deux yeux…
D’après le tableau « Brigitte » de J.-J. Mancardi
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