La Cité des Arions

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La Cité des Arions n’admet que les vainqueurs. Lui, en est-il un ? Que fait-il avec Bo ? Que cherche-t-il et à quoi sert-il ? Et pourquoi tant de questions ? Gaméorok a sûrement existé, ou alors existera, ou pas… En fait, quelle importance ? Un récit de voyage dans le paradoxe, dans l’absurde, où même l’auteur est perdu et se dispute avec son personnage : un exercice de style, une véritable aventure, ou les deux ? Et vous, allez-vous imploser ? Soyez prudent !

EXTRAIT

La terre est mauve, le ciel est vert, la mer est jaune. La première montagne que je vois est bleue, cachant un soleil naissant trop violet pour être vrai. À trop voyager dans un passé noir et blanc, j’en avais oublié les couleurs du futur que j’ai enfin mérité. Bo m’accompagne dans ce périple inattendu du bout du crayon et note les parfums et les cris qu’elle découvre en même temps que moi. Plus je lui parle, plus elle écoute. J’ai bien fait de lui changer ses accus. Nos pas s’enfoncent dans ce paysage sans fin, mais pas sans appétit. Au loin, s’offrant comme une oasis, la ville d’un seul plaisir : Gaméorok tant attendue, tant rêvée, tant construite, résonne à mes ouïes tendues. J’actionne alors mon générateur d’eau et verse dans mes mains rocailleuses quelques gouttes de ce liquide interdit. Bo me fait un clin d’œil, la pauvre ! Devant nous, les gâtines, d’anciennes dunes, sont nombreuses et servent de pâturage aux dagornes . Elles nous obligent à presque voler pour atteindre avant la deuxième nuit de cette journée anachronique notre destination. Mais nous ne volons pas : nous faisons mieux !
– Avançons violemment ! crié-je à ma compagne d’infortune. La Cité des Arions n’admet que les vainqueurs !

Soudain, en une vague de colère, le ciel s’obscurcit en moins d’une seconde pour la première fois. Deux lunes apparaissent en complices et composent avec l’étoile rose de Caryopsée le fameux Delta de Jubarte. Il me faut me dépêcher de le colorier avant qu’il ne disparaisse. Alors que la minute s’estompe, Bo se relève et me montre le chemin que la seconde aube nous dessine. Le ciel redevient vert, comme à son habitude depuis le Grand Jour. Gaméorok se contraste en lui et me joue le chant des sirènes. Je sors de ma poche la carte interdite de cette contrée absurde, mon laissez-passer, mon laissez-rêver, ma boussole de papier pour arriver jusqu’ici. Un sourire vers Bo pour unique force et me voilà encore plus riche de mille envies de conquérir cet ancien Nouveau Monde. Au sol, sous un caillou tremblant, une pièce de dix Canus oubliée par un marchand pressé me sourit.

Que ce voyage commence bien !

Pour arriver là où j’en suis, certains hommes et assimilés humains ont volé ou tué. À croire qu’il faut être malhonnête pour gagner le respect. J’ai toujours voulu être sage sans trahir et me faire respecter sans me faire craindre. Bo en sait quelque chose. Si elle est là aujourd’hui, c’est parce que j’ai su lui donner la confiance qu’on ne pouvait lui programmer. À présent, c’est moi qui ai confiance en elle et qui la suis vers notre but. Si elle pouvait courir, elle courrait. Comment peut-elle en avoir envie, elle qui n’existe pas encore ? Je suis sûr qu’elle me parle, je comprends presque ses mots, parfois, elle me sourit. Deviens-je fou ?

Deux portes monumentales, cernées de caryatides à la gloire sans doute de quelques divas d’époque, seront l’entrée de notre future demeure, si je réussis l’épreuve du passage. Je fixe de mes poings la statue d’Amphyclion . Je suis fort de sa présence. Un garde arénicole accompagné d’une cagne, sorte de cerbère sans gloire, mais pas sans hargne, nous interpelle.

– Halte-là ! Sais-tu ce qui tu es ?

Sûr que je le sais, enfin je crois ? Ma quête ne peut s’arrêter à quelques pieds de ma destinée.

– Et que fais-tu ?
– Je fais ce que bon me semble. Nul être ne peut me dire de faire demi-tour à cet instant. Et toi ? Sais-tu qui je suis ?

Alors que je lui pose cette question qui le trouble, je sors de ma poche la pierre tant famée et rougie par mon courage. Par la coutume écrite, je la mets au-dessus de ma tête pour attirer son regard et frappe du pied. Le garde, apeuré, me répond rapidement :

– Je ne suis là que pour vérifier ton mérite à fouler Gaméorok. Tu es venu ici en visiteur, pas en conquérant, souviens-t-en ! Je n’ai rien d’autre à te dire que d’entrer. Va ! Et n’oublie pas de savoir qui tu es, tu en auras l’utilité bientôt !

Je croyais être un arion, visiblement, cela ne suffit pas ! Enfin, le clebs se tait : Bo est rassurée ; je la suis et nous entrons. La seconde nuit ne saurait tarder : il va me falloir trouver un endroit pour dormir et une station d’accueil pour Bo. Où aller ?

Un astéroscope vient vite à mon aide. Je crois reconnaître en lui les prémices d’une nouvelle réalité, comme dans les livres que me lisait mon père dans son hémisphère bicolore, forcément. Sans doute avait-il raison quand il en parlait. Voici donc un entozoaire qui a réussi ! Nous le suivons, presque en confiance. Il se doute de la vérité que nous cherchons, pardon !, que je cherche. Décidément, j’ai du mal à décérébrer Bo ! Nous marchons encore sur les huiles que les pavés transpirent. Mes chausses sont humides, mais je dois continuer. Le labyrinthe de la Cité se referme sur nous. La nuit est profonde à présent.

Je dois admettre que je n’ai pas peur. Je ne vois pas pourquoi j’aurais peur ? Je ne suis pas l’ennemi de Gaméorok ! Loin d’être tout à fait son ami, ainsi que vient de me le dire le garde, je ne suis que son visiteur. C’est pour cela que j’ai confiance en mes gestes et pas, jusqu’à ce que l’on me fasse changer d’avis : pour le moment, la curiosité me guide et j’avoue aimer cela.

 

 

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